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Un nigérian, un français et des japonais...


Peko peko, je suis mort de faim après la visite du sanctuaire de Munakata taisha. Je trouve un restaurant qui a l'air assez sympathique. Il est 14h, il ferme à 14h. Un signe de tête et un sourire désolé, on me précise que ce sera partout pareil.


Très bien. Je vais rentrer directement, je mangerai des œufs, il y en a des tonnes. Je m'éloigne du parking du temple, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de faire du stop près des taxis qui patientent.


Cela doit être ma grande expérience d'auto-stoppeur, mais je ne patiente que quelques minutes avant qu'un petit utilitaire s'arrête; je me dirige rapidement vers le véhicule, non sans d'abord me tromper de côté, le conducteur est à droite ici. J'ouvre la porte…. Et surprise :


Mais cet homme est noir ! Un gaijin, un étranger, comme moi, enfin pas comme moi, il est beaucoup plus à l'aise en japonais! Je lui donne la direction, il ne comprend pas trop...


- Monte ! me dit-il.


En voiture Simone, je sors alors mon portable de ma veste pour lui montrer le lieu sur la carte. Comme je m'y attendais, il ne se rend pas à Takemaru, mais peut m'en rapprocher. Cela me va très bien. Je me fais la réflexion que la probabilité de rencontrer quelqu'un qui se rend ou passe par Takemaru augmente en se rapprochant de Takemaru.... Hum une idée d'activité avec ma classe de seconde ?


Donc nous discutons, en anglais ou en japonais, selon mon choix. Faible, je commence en anglais mais lorsqu'il comprend que je suis ici pour progresser en japonais, il décide que nous parlerons japonais. Une amie l'appelle au téléphone; il parle naturellement, je suis jaloux. Je ne pensais pas avoir un professeur de japonais Nigérian en me rendant dans la campagne de Fukuoka. Bon cela fait cinq ans qu'il est installé au Japon, mon ego est sauf.


Quelle rencontre agréable. Chris, comme il me demande de l'appeler, s'est installé ici, sans parler un mot de japonais. Il est gentil et modeste comme un japonais, je suis admiratif et je le lui dis ; il me renvoie le compliment... Mouai je suis en vacances deux semaines, je n'ai pas quitté mon pays pour me lancer dans un business d'import-export.


Chemin faisant, nous papotons, et inévitablement nous arrivons à l'intersection de nos chemins. Je descends de la voiture en le remerciant chaleureusement, il nous souhaite de nous revoir. Quelque part entre le Japon, le Nigéria et la France !


Finalement ce baptême d’auto-stop s'est bien passé me dis-je, en tâtant les poches de ma veste.


- MEERR&%µ#e !


Googlemap --> Tableau de bord --> portable.


- RE-MEERR&%µ#e !


Je vérifie à nouveau mes poches en me retournant et vois que Chris est arrêté à un feu à une cinquantaine de mètres. Je cours comme un dératé, je me rapproche à une dizaine de mètres, il redémarre, j'agite mes bras, l'appelle, la voiture accélère doucement.


Je suis essoufflé, les jambes en coton, le ventre vide, je vis ce rêve où l'on court tout en se rendant compte que l'on ne court pas. Sortie de garage; ce serait con de finir à l’hôpital pour un téléphone. Allez on lâche rien, tout serait tellement plus simple si je rattrapais cette camionnette ! Un ralentissement, un espoir, une voiture qui sort d'un parking et me bloque. Je me vois bien sauter par-dessus le capot à la Starsky et Hutch, mais je contourne lourdement la voiture.

Chris redémarre, et je commence à bien comprendre ce qui est bien en train de se passer, tout en continuant à courir en sachant pertinemment que je ne rattraperai plus rien du tout. L'écart se creuse, mon sprint devient une petit footing d'entretien, mes pensées un cours d'eau qui se vide dans un égout...

(culture : footing est un mot français).


[Allez! Petit jeu, ne lisez pas tout de suite ci-dessous, et réfléchissez à une solution pour ce problème. Laissez-la en commentaire, on en débattra ! Vous vous dîtes : "tout ça pour avoir un commentaire"... Si seulement. Pour moi, il n'y a pas d'issue favorable à cet événement. Fin du jeu, reprenons.]


Débrief. Un type, très sympa, mais dont je ne sais rien, si ce n'est un prénom, vient de partir pour une destination inconnue, dans la campagne japonaise, avec mon portable posé dans un foutoir sur le tableau de bord passager. Je ne sais pas où je suis, si ce n'est plus ou moins entre mon village et le sanctuaire. Je suis mort de faim, les jambes coupées et les idées confuses. Bien sûr, pour éviter le hors forfait, j'avais soigneusement mis le mode avion sur mon téléphone. Voilà, voilà.


Note pour plus tard : l'auto-stop sans pouvoir se géolocaliser, c'est encore plus l'aventure. J'ai l'impression qu'un fil invisible, dont je n'avais pas vraiment conscience, vient de se matérialiser et de se briser dans un même temps.

Là. Je suis un poisson dans l'océan. Je frétille, et suis le courant, jusqu'à un parking situé près d'une route passante; route qui a l'air d'aller dans la direction que je pense être la bonne. Surtout ne pas douter, sinon c'est fichu et on se retrouve échoué sur une plage à étouffer au soleil. Je respire un bon coup, et je lève mon pouce.


Je suis une vache qui regarde les voitures passer. Pas de montre, pas de portable, est-ce que ça fait dix minutes que j'attends, trente? Je ne panique pas, mais bon. Je me dirige vers un restaurant, bien évidemment fermé. Néanmoins du personnel s'active à l'intérieur. Je leur demande si Takemaru est bien dans la direction que je pense.


Le vieux monsieur se retourne vers sa collègue.


- Takemaru, tu connais ?


- Pas du tout.


C'est l'océan qui s'agrandit, ou le poisson qui rétrécit, mais je me sens plus petit.


Ils sortent pour se rendre au pressing à côté (culture : pressing est un mot français). Le responsable du pressing, ne connaît pas non plus mon village.


C'est amusant, me dis-je. Hahaha. Je n'ai même plus faim. Par contre je doute, est-ce que je sais vraiment dans quelle direction aller ? Est-ce que l'on s'est bien compris avec Chris ? Où suis-je ? Hahahahaha !


Devant mon air paumé, le patron de l'entreprise de nettoyage, m'amène dans son bureau et ouvre un gigantesque atlas de cartes de la région. Cela semble faire annuaire également. Dans un autre cas, j'aurais trouvé cela un peu ridicule d'utiliser ce monticule de papiers plutôt que d'utiliser googlemaps, mais là, je trouve ce recueil presque magique. On ne risque pas de l'oublier sur un tableau de bord.

Mais ma bonne humeur retombe vite, avec le nom de mes hôtes, le patron ne trouve rien, il tourne des pages en noir et blanc en me demandant si je reconnais quelque chose. Tout est écrit en kanji, je ne pige rien. Rien. Je tente :


- Il y a une école juste à côté... Un pont, la maison est au bord d'un rivière, il y une école primaire à cinq minutes à pieds. Et un 7eleven ! dis-je dans l’espoir de faciliter les recherches.


Et je me souviens alors un peu tard que je connais un autre nom, celui d'un instituteur dont m'avais parlé mon hôte : Mori-sensei.

Ho ! Le patron connaît cet enseignant, sa fille l'a eu en classe. Oui mais cela ne nous avance pas.

Il poursuit ses recherches. Il tourne les pages, je redoute le moment où il va arrêter de les tourner en s’excusant...


- Ha ! me dit-il.

- Hoooo, me dis-je.


Il me montre une carte, heureusement que j'avais regardé googlemaps pour visualiser un peu les environs de la maison, je reconnais un peu les alentours, l'école, la rivière. Le sanctuaire shinto visité quelques jours plutôt, semble bien être à sa place. L’école primaire aussi. Espoir.


Il me propose maintenant de téléphoner à mes hôtes. C'est-à-dire que je n'ai pas appris leur numéro par cœur, tout est dans mon portable :-). De toute façon ils sont à deux heures de route, à Nagazaki... Le patron m'interroge :


- Comment vas-tu faire pour rentrer?


Ben, j'espérais que quelqu'un me propose de me déposer... Il me demande si je souhaite qu'il essaye de contacter Mori-sensei... Sauf que je ne le connais pas (encore) ce monsieur.

Je comprends donc que j'ai deux choix : retourner faire du stop et risquer de tomber sur des gens qui ne connaissent pas non plus Takemaru, ou tenter ma chance tout de suite...


- Voulez-vous bien m'aider ?


Il est un peu surpris, puis rit, et me montre sa voiture.

Ouf. Encore un type sympa, qui, de plus, corrige mes fautes de japonais. Nous discutons, j'observe par la fenêtre et enfin je reconnais les environs, notamment la rive du cours d'eau où je ballade parfois Gonchan. Et la maison. A nouveau des aurevoirs chaleureux et reconnaissants, il ne veut ni thé, ni café ; Sayonara.


Je fonce sur mon ordinateur, envoie des messages aux proches pour prévenir, des messages sur mon téléphone en espérant que, par miracle, Chris passe près d'un 7eleven, que mon téléphone se connecte automatiquement au wifi, que mon ami nigérian se rende compte que mon téléphone a reçu un message, que malgré la protection par mot de passe, le début du message s'affiche, et enfin que Chris le lise et comprenne...

J'écris juste : password : 3456 et mon adresse mail de contact.

Puis je réfléchis deux secondes, et oublie cet espoir, tout espoir. Tous les docs que j'avais sur le tél, réservation, billet d'avion : plus d'accès. Mon gps, mon dictionnaire anglais-japonais, mon appareil photo, mes petits messages photos pour rester en contact avec mon amoureuse... Mon journal de voyage. Bon y'a pas mort d'homme, mais je repense sans cesse à ce foutu moment où je salue Chris chaleureusement et laisse mon téléphone sur le tableau de bord... RHAAAAAAAAA.


Je vais promener Gon-chan, qui continue de s'arrêter à chacun des pipis de ses potes du tiékar, comme s'il cherchait des œufs de Pâques. Indifférent à mes galères, tirant sur la laisse pour retourner en arrière et sentir à nouveau de l'urine dont il n'est finalement plus très sûr que ce soit bien celle de bidule... Il m'énerve un peu ce soir. M'enfin, il a une bonne tête.


Mes hôtes rentrent, ils compatissent mieux que le chien, et Chieko me dit d'enfiler mes chaussures tout en remettant sa veste.


- On va au commissariat.


- Il n'y a pas eu vol, il ne peut pas me retrouver, et on ne sait pas où il allait.


- Vaut mieux y aller. Où étais-tu lorsque tu as perdu ton téléphone ?


Excellente question. Je me souviens d'avoir lu le nom d'une ville, Akama, un peu après avoir pris la voiture avec mon dernier chauffeur.


On part, on essaye de retrouver l'endroit. Il fait nuit, toutes les rues se ressemblent, on finit pas abandonner et aller au commissariat d'Akama.


Commissariat est un grand mot, c'est un kōban, un petit local avec un accueil, toujours ouvert à celui qui a une question, un problème... On entre, il n'y a personne, mais un téléphone est posé près d'une affichette. « En cas d'absence appeler tel numéro ».

Chieko s'en charge, et raconte à un policier ce qu'il s'est passé; il prend consciencieusement toutes les informations, quelques difficultés avec mon nom et prénom mais on y arrive. Voilà c'est fait, on a suivi le protocole. Je me dis que les Japonais aiment décidément bien faire les choses en suivant les règles même lorsqu'il n'y a rien à espérer. De retour, nous mangeons rapidement, Takiguchi-san sort des bières pour se détendre, et à la fin du repas, le téléphone sonne.


Mon portable est au commissariat.



Chieko-san qui ne veut pas conduire en ayant bu une «mini-bière » appelle son fils. Il vient accompagné de sa femme enceinte.​​


Et la joyeuse troupe part en quête du précieux portable. Motokaze, le fils, et Hitomi, sa femme, sont très sympas et nous échangeons sur nos vies de futurs parents. Hitomi parle bien anglais, elle a vécu aux Etat-Unis, en Italie, en France, je suis de très bonne humeur, on rigole bien.


Deux jeunes policiers, nous accueillent, l'un est détendu et l'autre prend un ton moralisateur : en bref, il faut faire attention à ne pas perdre ses affaires, merci.


Chieko-san me montre un portable sur le bureau :


- C'est bien le tien ?


- Non... Non, non.


Houlala, ça va vite dans ma tête. Bim, poc, badam, cling, des rires, des pleurs s’entremêlent, s'entre-choquent dans le grand-huit des émotions.


- C'est le mien, répond le policier, tandis que son collègue plus détendu se rend dans l'arrière salle pour aller chercher mon portable.


Je respire. Le policier reprends doucement son sermon, et si je suis surtout touché par ses mots, ce n'est pas tout à fait comme il voudrait que je le sois. Je ne suis pas honteux, je suis ému, reconnaissant, et heureux.


En effet l'agent m'explique que Chris au bout de dix minutes s'est rendu compte que j'avais oublié mon portable, a fait demi-tour et m'a cherché. Puis a attendu un quart d'heure où il m'avait laissé. Ne me trouvant pas, il s'est finalement rendu au commissariat. Il a alors insisté auprès des agents pour que l'on me retrouve, en disant qu'il fallait se renseigner sur les homestay du coin, que j'étais à l'étranger et que j'avais probablement un grand besoin de mon téléphone...


Je suis heureux, le policier finit de me prodiguer ses conseils et finit en me disant de faire plus attention à présent afin d'éviter à nouveau les ennuis. Je remercie bien tout le monde, en m'excusant bien humblement. Alors que nous prenons la direction de la sortie, l'agent moralisateur veut le dernier mot et insiste à nouveau sur le fait de surveiller ses affaires.


Je me retourner alors et lui lance , comme on fait à un ami :


- Mata ne ! /(A bientôt !)


Mes complices japonais éclatent de rire.


Ralenti... L'image se fige sur les visages heureux.

Générique de fin comme dans les feuilletons des années 90.

(je laisse cela à votre imagination.)


L'article vous a plus, vous avez une question, laissez-nous un commentaire ci-dessous, cela fait plaisir de se savoir lus. Episode suivant : retour en enfance!



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