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Regarder les fleurs


Japon / Kyushu / avril 2017

« Regarder les fleurs », cela pourrait être une expression pour se moquer de l'oisiveté de quelqu'un, du genre : « quand vas-tu arrêter de te tourner les pouces et regarder les fleurs ?? » Mais ne vous laissez pas tromper, comme disait l'autre, il y a « regarder les fleurs » et « regarder les fleurs » ! Hana signifiant fleur et mi étant le radical du verbe « regarder », hanami signifie bien littéralement « regarder les fleurs » .

Néanmoins, rien qu'en prononçant ce mot à voix basse, pour soi, dans un chuchotement, comme on invoque l'être aimé, nous devinons déjà que l'on nous cache un secret, une douceur. Nous tendons la main pour lever le voile de soie, qui nous dérobe le mystère, que l'on adore pour l'attente enivrante qu'il impose, et qui agace, tant il semble se dérober sous nos doigts, nous mourrons d'envie de goûter à la poésie, de témoigner de nos sens de l'essence de ce mot : Hanami. Mais pour créer l'empreinte psychique qu'il mérite, découvrir la vérité, il y a un préalable : la floraison des cerisiers, des fameux Sakura.

Et cette année, la chaleur et le beau temps se font attendre et font attendre tout le Japon : les Sakura se font désirer ! Dès que nous pouvons, nous observons les bourgeons. Les gens du coin font des pronostics et plus nous descendons vers le sud du Japon, plus nous espérons découvrir les cerisiers en fleurs… À Nara, nous nous émerveillons des prunus en fleur, mais leurs cousins poursuivent l'hibernation, heureusement que les biches nous réconfortent et que la statue de Bouddha du temple est suffisamment grande et majestueuse pour apaiser notre impatience.

À Himeji, le Héron Blanc qui laisse éclater sa blancheur dans une éclaircie, semble appeler à la floraison des cerisiers, et nous rêvons de la vision époustouflante (dédicace à Ludo) que doit être le jardin du château, lorsque les fleurs des Sakura accompagnent de leur blancheur, celle des murs de chaux (qui ont valu au château d'être appelé par un nom d'oiseau ! Oui le Héron Blanc est son surnom : Shirasagi-jo (白鷺城) (le suffixe -jo indique le nom d'un château.)

À Okayama, la couleur noire du château, qui indique sa construction médiévale (il a été en fait entièrement reconstruit après le bombardement américain), n’appelle pourtant ni le rose, ni le blanc des fleurs des cerisiers, mais c'est bien dans sa campagne, sur les chemins, à bicyclette (il y en a qui chantonne) que nous découvrons que des bourgeons moins timides ont enfin libéré quelques fleurs.

Dans les ruelles sinueuses de la vieille ville d'Onomishi, nous devinons à peine, nous captons subrepticement, des fragments de ce que pourrait signifier Hanami, devant quelques cerisiers qui présentent timidement quelques fleurs.

Hum, la patience a ses limites, nous n'attendrons pas que les cerisiers soient pleinement en fleur, nous irons à toute allure vers ceux qui le sont peut être déjà ! Nous enfourchons donc nos vélos pour le Shimanami Kaido et ces 80 kilomètres (une autre histoire, que nous raconterons un jour!)

Peut-être qu'un bain dans le plus vieux onsen (bain public) au Japon, où l'empereur avait son espace privé, qui a inspiré la littérature japonaise, et la magie du Voyage de Chihiro, nous disposera, corps et esprit, à ressentir le hanami ! Nous irons donc au Dogo Onsen de Matsuyama, quelques rongeurs tentent bien de nous retenir sur leur île, mais sirènes ou lapins, nous résisterons à vos tentations, l'esprit du hanami nous maintient sur notre voie.

De là, un ferry, et nous sommes à Hiroshima. Ce premier jour où la pluie nous conduit au musée commémoratif du bombardement atomique est passionnant, et éreintant émotionellement. Il rend encore plus vif, impérieux, cette soif, cette nécessité de hanami, bien qu'il nous éloigne beaucoup de cette poésie mystérieuse… Heureusement, les éclaircies du lendemain nous trouvent dans le Parc Shukkei-en!

Nous sommes accueillis par de magnifiques pruniers en fleurs, le parc est magnifique et nous découvrons même les fameux cerisiers en fleurs !! Nous tremblons d'excitation, tous nos sens sont prêts à se plonger dans la vague délicieuse du hanami… C'est magnifique, mais la révélation ne se fait pas. Pourtant les gens sont bien installés sous les cerisiers pour festoyer et nous apprécions la beauté, la convivialité du moment, mais il y a toujours un voile léger qui dissimule quelque chose, nous nous refusons à penser avoir appréhendé pleinement la magie du hanami. Est-ce le pourcentage de floraison, dont on nous parle tant, qui est insuffisant ? Le temps qui est un peu grisâtre malgré les apparitions du soleil? Néanmoins, la délicatesse de ces pétales blancs, de ces précieuses reliques que l'écorce sombre et rugueuse des cerisiers ont protégé du mordant de l'hiver, nous touche. De ses branches noires et sèches, il semble improbable d'y voir naître ces petites nymphes pâles, la poésie s'intensifie lors de la cérémonie du thé à laquelle nous participons dans une jolie maison traditionnelle du parc.

Nous nous sentons fin prêts pour l'épiphanami! Mais que nous manque-t-il ! Oui, bien sûr, vous avez raison. Le saké !! Oui vous avez raison ! C'est évident. Et les nappes (souvent bleues, c'est resté un mystère) pour s'installer. Nous pourrions faire cela, un saut au konbini, acheter du saké, et nous installer sous les arbres. Mais cela semblerait peu naturel, forcé, et c'est sur une table en bois que nous mangeons notre bento en échangeant avec un gentil couple, parents d'un heureux bébé. Si proche, et pourtant nous avons senti qu'il nous manquait une chose essentielle pour vivre ce hanami. Peut-être que, plus perspicace que nous, vous avez déjà compris! Allons, vous y êtes presque... Autant les japonais ne peuvent pas, mais vous francophone ! Ne l'entendez vous pas? Ha Na Mi, Hanami, han ami !

Comme le saké, comme un pique-nique, le hanami se révèle quand on le partage !! De préférence avec des amis !! Enfin, nous le prenons de plein fouet ! Le hanami nous emporte dans sa douceur, son ivresse et sa joie pure! Merci les amis d'avoir levé le voile!

Nous dirons au-revoir à nos amis dans le parc des ruines du château de Fukuoka, dans un dernier hanami.

Évidemment pour finir en beauté, faudrait-il voir tomber un pétale dans son verre de saké…

Nous savons enfin "regarder les fleurs", nous nous sommes finalement souvenus. « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. » Antoine de Saint-Exupéry Et comme une évidence c'est avec le Petit Prince que nous commencerons la visite de la Corée du Sud avec Adeline et Arnaud. Trop bien! Encore des copains!!

P.S. : Bruno: « Charlotte, Julien, je vous envierai toujours d'avoir validé le hanami parfait !! » P.S.2. : Han ami c'est mieux que Han solo. P.S.3. Il reste tant à dire sur le Japon mais les articles attendront notre retour car le voyage continue!


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