Le chien et les abeilles
Moi, pour ma chienne, j'avais un jardin, et une partie commune, où elle pouvait faire son petit tour. Elle n'avait besoin de personne. Des petites boules sèches qui n'embêtaient personne. Oui, il y a bien une fois où elle avait bu trop d'eau de mer, et avait traversé toute la plage en se laissant aller sur les serviettes des touristes...
Je l'aimais bien ma p'tite chienne.
Bon, si je m'y prends bien, ça devrait bien se passer, je reconnais la position décrite par Takiguchisan, je glisse vite le morceau de journal sous son postérieur... Ouf, il a bien fait sur le petit bout de papier; je renverse le sac comme un gant, une poignée de terre avec le tout. Et bim! Du travail net et propre.
Pu*%.£, faire 10.000 kilomètres pour ramasser les crottes de Monsieur. Il met trois coups de pattes arrières dans le sol, à un bon mètre de son dépôt, projette de la terre n'importe où et s'en va satisfait de lui même.
Ballade vers 8h avant le petit déjeuner et le soir vers 18h avant le dîner. Ma mission journalière, ma routine, promener GonChan (prononcer gon' tchan').
Mes mains sentent un peu fort après, mais je ne peux pas m'empêcher de lui gratter la tête. Le papy a une bonne tête.
Et au fil des jours nous devenons copains. Il me tend son museau pour les grattouilles maintenant.
J'aime bien ma routine, la ballade dans les ruelles, dans les champs de ce quartier rurale. Je croise quelques grands mères qui saluent, d'abord Gonchan, puis me remarquent au bout de la laisse.
Un sourire, on discute un peu, mais mon japonais s'échauffe à peine, et puis il y a exactement 5 minutes j'étais sous la couette, même en français j'aurais du mal à faire la conversation.
Chaque jour un nouveau trajet, je repère la ruelle que je prendrais le soir ou le lendemain. Aujourd'hui, côté sud de la grande route, Gonchan pourra croiser son copain que j'aime bien, avec son regard à la Forest Whitaker puis on passera par les fraisiers, et je croiserais peut-être les mamies qui font traverser les enfants près de l'école primaire. Tiens, je m'arrêterai ramasser les œufs et je reviendrai cueillir les mame (haricot "mange tout") après le petit-déjeuner.
Le chien, les poules, les haricots, ce sont mes tâches quotidiennes, pour lesquelles je m'organise comme cela me chante, et puis il y a les missions spéciales. Creuser le sol pour déterrer les plots de ciments à la base d'une structure métallique que Takiguchisan veut démonter, abattre un noisetier qui ne produit plus (ses voisins ont pris l'ascendant sur lui), enlever un peu de vase de l'étang pour que les enfants de la ferme pédagogique puissent mettre des poissons.
Je ne me tue pas à la tâche, Chiekosan et Takiguchisan ont une philosophie de vie loin de ce qu'on caricature en imaginant le travail au Japon.
Il faut travailler pour produire de quoi manger, et travailler pour s'ouvrir l'appétit.
J'adhère vite à ce style de vie. Et je n'ai pas trop le choix. Quand le travail est physique, au bout d'une heure, Takiguchi me presse et insiste pour que j'arrête. Bon je continue un peu car le travail physique me fait du bien, et je ne suis là que pour deux semaines, alors je profite.
Evidemment le repas est souvent composé de tamago (oeuf), mame, asperge, et bien sûr de riz. Riz produit sur l'exploitation bien sûr. Et je me régale toujours, du producteur au consommateur, ou le contraire puisque c'est le même!
Je suis le fils de la maison pour deux semaines me dit Takiguchisan, je prends exemple; tout le monde cuisine à tour de rôle, fait la vaisselle, nettoie...
Journée pluvieuse, je récure la salle de bain à fond. Puis poussière, aspirateur... Nous travaillons parfois chacun à notre tâche et parfois tous ensemble, pour désherber le jardin par exemple, ou encore pour une autre activité récurrente "fukuro" : mettre des petits sacs de protections autour des nèfles, des pêches pour les protéger des insectes et oiseaux pendant leur croissance.
Nous prenons tous nos repas ensemble, toujours prêts à dégainer nos dictionnaires anglais-japonais, lorsque la conversation bloque. Parfois je me contente de les écouter et de saisir le thème de la conversation, le programme du lendemain. Comme un gamin, je suis content de comprendre que Takiguchisan dit que j'ai bien bossé à l'étang et que Chiekosan répond que la salle de bain est très propre.
Je fais semblant de ne pas comprendre, ils y croient facilement car souvent je n'ai pas besoin de faire ce travail d'acteur.
On arrive tout de même à plaisanter, à se moquer les uns des autres, c'est agréable. Je veux toujours organiser la journée du lendemain et connaître le programme, ils s'efforcent de me répondre à chaque fois. Je pense d'abord qu'ils peinent à satisfaire mes interrogations car ils choisissent méticuleusement les mots pour que je comprenne, mais en fait c'est surtout qu'ils préfèrent se décider le matin après le petit déjeuner. Et pourquoi pas? Chaque jour suffit à sa peine!
Soit, c'est donc sans savoir ce qu'il m'attend demain que je pars, ce soir, me promener avec mon fidèle compagnon. Tant qu'à se balader, nous nous dirigeons vers le sommet d'une colline du hameau, où doit se trouver un sanctuaire...
Ce côté du village, la partie principale qui est de l'autre côté de la route et de la rivière par rapport à nous, a son charme. Les maisons anciennes traditionnelles dégagent quelque chose de mystérieux, comme si elles gardaient enfoui dans leur mémoire un secret; concernant l’histoire du village, peut-être même une anecdote fantastique d'un autre temps. Certains jardins confortent ce sentiment, comme si la nature y était libre, mais, de bon cœur, avait choisi de présenter un de ses tableaux les plus harmonieux.
Il tire sur la laisse et brise mes divagation. Je sens Gonchan moins sensible à mes rêveries, il a ses propres mystères à élucider, il doit faire la liste de tous ses copains qui sont passés dans le coin, découvrir à qui appartient cette nouvelle odeur d'urine. Il tire donc sur la laisse, la truffe dans chaque pipi, heureux comme un enfant à la chasse aux œufs de Pâque. Et comme un enfant ne se lasse jamais de ce plaisir.
Nous arrivons tout de même à la fameuse colline. Un tori, un portail, ici en pierre, sépare le monde physique et le monde spirituel; il ouvre d'ailleurs sur un long escalier qui nous emmène au cœur du sanctuaire. Il faudra veiller à repasser ce tori en sens inverse si l'on ne veut pas laisser une partie de soi dans le monde des esprits.
Même Gonchan est touché par le sacré et arrête sa recherche de pipi en grimpant l'escalier.
Il m'attendra devant l'entrée du cœur du sanctuaire; je ne suis pas bien sûr que les chiens soient acceptés. J'entre seul.
Le lendemain, réveil, balade, petit déjeuner, et Takiguchisan me tend un superbe chapeau avec voile.
Le couvre-chef , sans obscurcir la vue, protège bien le cou. On monte dans la petite camionnette, direction le coin des néfliers.
Je fais quelques boules de papier journal, une moins dense que j'enflamme, et le tout dans l’en-fumoir. Cela permettra d'abrutir les abeilles pendant que nous nous occuperons de l'élevage.
La ruche est composée de quatre ou cinq boîtes superposées, chaque boîte contenant cinq ou six cadres, qui a défaut d'un joli tableau contiennent les alvéoles de cire où les abeilles placent les cocons, le miel...
Tout en enfumant, au milieu des mâles qui virevoltent tout autour de nous, j'écoute les instructions de Takiguchisan : repérer dans chaque cadre les cocons de futures reines et, dans le même temps, repérer la reine actuelle.
C'est essentiel.
Il faut une reine et une seule. Si jamais la reine est morte, alors il faut laisser les cocons de futures reines en espérant qu'une nouvelle verra le jour. S'il y en a deux, il faut en tuer une, sinon l'une des deux partira fonder une nouvelle colonie en emmenant une partie des ouvrières.
Un par un nous enlevons les étages de la ruche pour inspecter les cadres.
Aujourd'hui impossible de repérer la reine. Mon sensei apiculteur, api-sensei, bachi-sensei, est embêté (bachi=abeille). Parfois afin de mieux repérer les cocons de reine et y voir un peu plus clair dans les amas d'insectes, il faut, d'un geste de haut en bas, frapper doucement mais sèchement le cadre pour faire tomber les abeilles.
Du coup je cherche au sol, sur les rebords de la ruche, pendant que Takiguchisan inspecte à nouveau les cadres. WHOOOO, je n'ai pas rentré mon pull dans mon pantalon, et je sens que ça vibre sur mon ventre, je prends sur moi pour ne pas faire n'importe quoi. Je m'éloigne et soulève mon t-shirt pour chasser l'exploratrice. Pfiouu, je suis content d'avoir fait la guerre aux guêpes pendant l'enfance, qui m'ont appris à ne pas trop avoir peur des piqûres. Je suis néanmoins soulagé et enfonce bien mon pull dans mon pantalon, et mon pantalon dans les chaussettes. Avec mon petit chapeau d'apiculteur, j'ai une certaine classe.
Je retourne inspecter la ruche, sans trop de conviction, je ne suis même pas sûr que je reconnaîtrais une reine, si j'en voyais une. Certains mâles sont aussi bien gros, mais plus foncés que la souveraine me dit Takiguchi.
J'enfume, histoire de calmer les ardeurs de ces dames, tout en essayant de me convaincre que je sers à quelque chose. Tiens celle là qui grimpe sur l'extérieur de la ruche m'a l'air bien nourri et assez claire. J'hésite à déranger api-sensei.
Bon, je lui montre... Un grand sourire, misketa! Ho, je l'ai trouvée, la khalissi. Je suis, malgré moi, assez fier. Fier d'avoir trouvé un insecte.
On finit le travail et on récolte quelques cocons de reines mais pas de miel, c'est trop tôt, j'espérais quand même goûter... J'ai trouvé la reine tout de même.
Pas de miel, alors je mange les cocons de reines. Gelée royale, larve, c'est un peu acidulé, étrange...
J'ai l'impression de me doper, comme Popeye quand il mange des épinards.
Bonus :
Bien sûr n'hésitez pas à laisser un petit mot ci-dessous, questions, commentaires, cela nous fait plaisir... Et à bientôt pour le deuxième épisode, ce sera peut-être "Des dieux et des... Abeilles!"